L'Echo de la Fabrique : 1 avril 1832 - Numéro 23

LYON.
L?ÉCHO DE LA FABRIQUE.1

C'est par les peuples que se sont opérées les révolutions ; les unes dans l'intérêt des grands hommes, dont la gloire avait ébloui les masses ; les autres pour conquérir la liberté ; et de celles-ci a toujours surgi le bonheur des classes inférieures. Les sciences, les arts ont vu s'agrandir leur domaine ; et un des plus grands bienfaits que ces révolutions ont légué aux peuples, c'est, sans contredit, la liberté de la presse. La publicité est à la liberté ce que l?ame est au corps ; sans elle, point de sensations vives ; une apathie complète règne dans la société, et les peuples assez vils pour ne pas faire cas de cette liberté, sont dignes du plus dur esclavage.

En France, par exemple, dans cette France ou la liberté est innée dans le c?ur de l'homme du peuple comme dans celui du législateur, quels services la publicité ne rend-elle pas aux masses aujourd'hui ? il n'est pas la moindre science qui n'ait son organe ; les arts, l'industrie, tout est développé dans un nombre infini de journaux, et la publicité amène cette amélioration [1.2]dans les m?urs et les usages qu'on n'eût pas obtenus, privé du secours de la presse périodique.

Toutes les opinions politiques et religieuses ont leurs organes ; il en est de même des sciences et des arts ; les voyages ont aussi les leurs, et tout ce que les élémens renferment dans les abîmes et au sein des airs, est dévoilé et mis à la portée de tous les hommes par la publicité.

Pourtant un oubli peu digne du siècle où nous vivons avait été commis : une classe nombreuse, intéressante par les services qu'elle rend à l'état, et partant à la société, n'avait point d'organes pour défendre ses droits ; cette classe nombreuse, infinie, est celle des prolétaires. Jusqu'à ce jour, aucun écrivain n'avait jugé opportun de lui consacrer sa plume ; aucun homme n'avait eu le courage d'entreprendre la défense de cette classe généreuse, mais pauvre, qui semblait n'exister sur cette terre que pour être tyrannisée et pour servir à la fortune et aux caprices des grands. Le temps était enfin arrivé où elle devait avoir un organe ; car le peuple sait aujourd'hui qu'il est pour quelque chose dans l'organisation sociale ; c'est dans ce but éminemment populaire qu'a été créé l?Echo de la Fabrique. Des hommes courageux se sont voués à la défense de leurs frères ; forts de leur conscience et de leurs droits, ils ont réclamé des améliorations pour ce peuple trop long-temps malheureux et humilié. Méprisant les haines et les persécutions, ils ont invoqué la vérité et voué au mépris de leurs contemporains ces égoïstes, ces c?urs glacés qui compteraient leur or sur le cadavre d'un prolétaire mort de faim?

[2.1]Des hommes généreux, nés dans la classe populaire, se sont associés à cet ?uvre de courage et de générosité. Aucun sacrifice n'a été épargné par eux pour dessiller les yeux de leurs frères, pour leur faire connaître leurs droits et les mettre à même de les revendiquer. Souvent abreuvés de dégoûts, soit par de basses calomnies, soit par l'insouciance de cette classe pour laquelle ils font tant de sacrifices, ces hommes se sont dit que leur mission était grande, sublime, et que les travailleurs reconnaîtraient enfin quels services ils rendent à la société, en se joignant à eux et en formant une masse compacte pour soutenir cette feuille qui leur est et leur sera toujours dévouée.

Qu'on ne croie pas pourtant que l?Echo de la Fabrique pense abandonner l'arène ou il est entré, ni cesser jamais sa publicité, quand même les prolétaires méconnaîtraient leurs intérêts, quand même ils abandonneraient un journal qui n'a été créé que pour eux, et dont chaque feuille fait rougir ceux qui spéculent sur leurs misères ; eh bien ! ces hommes généreux qui l'ont créé, quoique sans fortune, seront toujours prêts à faire tous les sacrifices pour le soutenir, parce qu'il ont reconnu que sans organes les industriels retomberaient dans cet état de détresse et d'humiliations qui a amené de si déplorables résultats. Ces hommes seront constans dans leurs projets ; mais ils pensent aussi que les industriels, les prolétaires de tous les arts, de tous les métiers, viendront se joindre à eux et les aideront dans cet ?uvre d'un intérêt général ; car leur feuille n'est point exclusive, et l'industriel, quel que soit son état, trouvera toujours sympathie et protection auprès d'eux.

L?Echo de la Fabrique sera enfin le journal des prolétaires. Ferme dans ses principes, rien ne le fera dévier de la route honorable qu'il s'est tracée, et ce sera toujours la digue contre laquelle viendront se briser les efforts de l'égoïsme et de la cupidité.

A. V.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Antoine Vidal d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

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