L'Echo de la Fabrique : 29 avril 1832 - Numéro 27

Extrait d’une lettre du 12 avril (Toulon), par un soldat du 66e de ligne, 3e bataillon, 2e compagnie.

« Le 14 février nous nous sommes mis en mer. Le vaisseau la Caravane qui nous a reçus ne pouvant contenir qu’un demi-bataillon, nous n’avons embarqué que quatre compagnies. Le deuxième jour, le capitaine du vaisseau croyant le vent favorable, fit lever l’ancre. Nous devions aller rejoindre en Italie les deux premiers bataillons de notre régiment. A peine 24 heures s’étaient-elles écoulées après notre départ, que le vent le plus [6.2]terrible fit craindre un naufrage ; le bâtiment balançait dans tous les sens jusqu’à nous forcer de nous cramponner aux cordages, au parapet du pont, et tout ce qui nous pouvait retenir. Nous avons passé deux nuits affreuses, dont le souvenir me glace encore d’effroi. Un coup de vent battit si fort les flancs du navire à plusieurs reprises, que la grande voile plongea de chaque côté six pieds dans l’eau, et le navire ne reprit son aplomb qu’après un balancement de plus de sept heures ; tout roulait dans le navire avec un fracas épouvantable : des tonneaux de viandes salées, des barils d’eau se brisaient après s’être détachés de leurs places. La cuisine, renversée, ne fut rétablie le lendemain matin qu’après avoir long-temps cherché les ustensiles égarés. Des rangs de boulets de 24 et 36, qui sont placés entre deux bornes assez étroites pour les empêcher de rouler, se sont tout-à-coup échappés, et n’ont pu être saisis qu’avec la plus grande peine après avoir blessé quelques militaires. Il fallait pomper des heures entières à cause des lames d’eau qui s’élevaient de temps en temps. Pendant une minute, ces lames d’eau étaient si fréquentes, que les matelots crurent que nous coulions à fond : deux d’entr’eux ne purent s’empêcher de s’écrier : Mes amis, il faut donc se résoudre à périr…

Si nous ne sommes point allés rejoindre le régiment à Ancône, ce n’est pas tant par la contrariété du vent que par un contre-ordre qui nous fut donné après le mouillage du vaisseau par un autre bâtiment qui nous est venu rejoindre en parlementaire.

Notre colonel Combe, après avoir passé en jugement pour avoir fait débarquer son régiment sans ordre ministériel, a été dernièrement destitué, et doit être, à ce qu’on dit, remplacé par le lieutenant-colonel du 38e de ligne ; en attendant, nous sommes commandés par notre lieutenant-colonel Barthélemy

Le 19 du courant, nous devons partir pour Oran. »

 

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