L'Echo de la Fabrique : 29 avril 1832 - Numéro 27

Fin et résumé du discours du docteur Broussais1.

Je passe maintenant au traitement et à l?époque de la prédisposition.

Lorsqu?une personne affectée d?irritabilité du canal digestif voit le choléra s?établir, elle doit commencer par diminuer ses alimens, par les diminuer au moins de moitié. C?est le traitement prophylactique.

Il faut manger peu de végétaux. Je ne dis pas qu?il faille s?en priver absolument, mais il faut en manger fort peu. Se nourrir avec des ?ufs et des viandes blanches, ne pas boire dans l?intervalle des repas en grande quantité, et seulement si la soif vous prend. Il faut être très-modéré sur ce point.

Il faut éviter toute fatigue violente ou extraordinaire, éviter les communications sexuelles, qui déterminent facilement la maladie chez les sujets faibles, éviter surtout de sortir des règles qu?on s?est imposées, et ne céder à aucune invitation ni à aucune occasion.

Je connais déjà un grand nombre de gens qui s?étaient préservés jusqu?à présent de la maladie, et qui ayant eu le malheur de céder à [6.1]une invitation, ont été le lendemain cholériques, et quelquefois sont morts peu d?heures après.

Il faut aussi, à moins que l?on n?ait beaucoup de courage et de fermeté de caractère, éviter l?aspect des cholériques, parce que les contorsions de la physionomie de ces malheureux ont quelque chose de terrible ; il faut être exercé à l?observation des malades pour contempler de sang-froid un pareil spectacle.

Il faut aussi se priver de fruits, et se priver le plus possible de laitage. Ceci n?est pas absolu ; il est des personnes qui digèrent parfaitement le lait ; celles-là ne sont pas obligées d?y renoncer.

Il en est d?autres que le lait dérange constamment, et à qui il occasionne presque toujours la diarrhée, il est même des personnes qui considèrent le café au lait comme leur purgatif diurne ; ces personnes doivent s?en abstenir.

Je sais que ces personnes disent : Si je ne prends point de café au lait, je n?irai point à la selle. Hé bien ! je leur réponds : ne prenez pas votre café au lait, ne dussiez-vous aller à la selle de huit jours.

Il faut éviter de se fâcher, ceci peut avoir beaucoup d?inconvéniens ; il faut surtout trouver dans son moral des ressources pour se prémunir contre la terreur ; car, si cette maladie est formidable lorsqu?on lui a laissé faire des progrès, il est bien certain qu?attaquée à son début avec énergie, on peut en faire une des maladies les moins nuisibles pour l?espèce humaine.

Le choléra-morbus est, en un mot, une des maladies qui peuvent le mieux prouver la puissance de la médecine. Si tous les médecins de Paris étaient d?accord sur cette question là, vous verriez des prodiges, la France se distinguerait parmi toutes les nations, elle aurait, pour ainsi dire, arrêté le choléra ; mais cela n?est pas possible. Désirer l?uniformité de pensée, c?est une chimère, une utopsie à laquelle aucun homme raisonnable ne peut se livrer.

Lorsque la maladie débute par quelques symptômes précurseurs, c?est vraiment l?instant du triomphe. Lorsqu?un malade commence à avoir une petite diarrhée ; lorsque, sans cause comme sans motif quelconque, un homme qui avait habituellement une selle par jour ou tous les deux jours, sent tout-à-coup son ventre se relâcher au milieu de la nuit, et qu?après l?évacuation des matières stercorales il voit sortir une espèce de matière muqueuse et blanchâtre, croyez que cet homme est attaqué au premier degré du choléra.

Dans cette situation, il est très-facile de le guérir, et c?est ce que j?ai éprouvé. Il y a des médecins qui se contentent de prescrire de l?eau-de-vie, des astringens, le diascordium, le simarouba, le ratanhia, et de prescrire des lavemens et autres choses semblables. Ils recommandent aussi de diminuer la nourriture. Ce sont là de demi-moyens.

Allez vite au but, retranchez la nourriture. Faites appliquer des sangsues à l?anus si la douleur est au bas-ventre, et à l?épigastre si la douleur est à l?estomac. Faites des saignées abondantes s?il le faut, faites prendre de la glace, et vous êtes sûr de la guérison, à moins que vous n?ayez à faire à des sujets dont les viscères sont détériorés d?avance, car il faut toujours faire exception de ces cas-là.

Je vous l?ai dit, et je le répète, c?est une éternelle vérité : les personnes qui ont d?anciennes altérations organiques, surtout si elles sont âgées, vous ne pouvez vous flatter de les guérir avec cette facilité-là ; mais quand il y a possibilité de réussir, vous y parviendrez.

Il y a beaucoup plus de prudence à leur imposer deux ou trois jours de ce régime-là qu?à leur permettre du poulet au riz et un peu de soupe.

Soyez sévère et ne vous relâchez pas de vos prescriptions, car si vous autorisez trois bouchées, le malade en prendra quatre ou cinq, et tout le fruit de vos efforts sera perdu.

Voilà, Messieurs, ce que l?état actuel de mes connaissances et de mes idées sur le choléra me permet de vous dire ; et je serai fort heureux si vous pouvez en tirer quelque avantage.

Cette improvisation a été suivie des plus vifs applaudissemens.

- Un journal de New-Yorck, de l?an dernier, contient ce qui suit : « Il y a environ 12 ans, l?équipage de la frégate française l?Aréthuse, qui avait jeté l?ancre devant Annapolis, fut attaqué du choléra. Le remède suivant fut employé avec le plus grand succès : de l?eau de riz avec beaucoup de sucre et un peu de landanum bue à de très-fortes doses. Sur 140 personnes malades, une seule succomba. »

Notes de base de page numériques:

1 François Joseph Broussais (1772-1838), médecin chef du Val-de-Grâce et professeur à la faculté de médecine de Paris. Sa « médecine physiologique » défendait une conception de la maladie fondée sur les réactions inflammatoires, réactions qu?il convenait d?éteindre par diètes et saignées. Son système sera mis en échec lors de l?épidémie de choléra de 1832. (E. H. Ackerknecht, La médecine hospitalière à Paris, ouv. cit., chapitre 6).

 

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