L'Echo de la Fabrique : 6 mai 1832 - Numéro 28JURISPRUDENCE.1[7.1]question à l’ordre du jour. MM. Couderc2 et Jars, députés du Rhône, ont suivi, dans le cours de la session dernière, une ligne politique différente. Le premier a constamment voté avec l’opposition, et le second avec le ministère Périer. A leur arrivée à Lyon, des rassemblemens ont eu lieu pour donner une sérénade au député patriote, et un charivari au député ministériel. M. Prunelle, maire, vient de rendre une ordonnance pour défendre ces rassemblemens, et indépendamment des voies légales d’arrestation qu’il annonce, qui seront employées contre les contrevenans, il ajoute qu’après les trois sommations voulues par la loi, les groupes seront dispersés par la force. En termes plus clairs, il promulgue la loi martialei. Cette ordonnance est-elle licite ? M. le maire n’a-t-il pas outre-passé son pouvoir ? Je conçois bien qu’il garde rancune au charivari et qu’il soit jaloux de la sérénade ; mais il n’y a pas là motif suffisant pour des mesures extra-légales. Simple légiste, je ne veux pas sortir de la question de droit, ni aborder une question politique. Je partirai donc de bases certaines, et après avoir déterminé la part du pouvoir, je réclamerai les droits des citoyens. Le charivari est défenduii, c’est un délit de police municipale, ses auteurs sont passibles d’une amende qui ne peut excéder quinze francs, et d’un emprisonnement qui ne peut durer au-delà de cinq jours. En considérant la sérénade comme un bruit public, on peut également la prohiber. Il y aurait beaucoup à dire sur cette matière, sous l’empire d’une constitution qui a pour base la souveraineté du peuple ; mais je veux écarter toutes les questions ardues et m’en tenir à la stricte légalité. Il est également vrai que le maire, premier magistrat de la cité, a le droit de rappeler par des ordonnances ses concitoyens à l’exécution de la loi ; mais il ne saurait créer une pénalité qui n’existe pas. Si donc M. le maire de Lyon se fut contenté de dire qu’en cas de contravention, les délinquans seraient arrêtés ou signalés pour être traduits devant les tribunaux, j’applaudirais de grand cœur à la sagesse de l’ordonnance. Mais il va plus loin, il déclare que la loi martiale sera mise à exécution ! De graves réflexions naissent à ce sujet ! La législation a investi le pouvoir exécutif d’un droit immense, en l’autorisant à disperser, par la force des baïonnettes, les citoyens sans armes. Sans doute, elle n’a eu en vue que de réprimer l’insurrection flagrante ; autrement, cette loi serait non-seulement attentatoire au principe de la souveraineté du peuple, sur lequel repose notre droit public, mais encore barbare et immorale. C’est le cas de rappeler cette maxime connue : Odia sunt restrigenda. Ainsi, je nie le droit de déployer le drapeau rouge, promoteur de guerre civile, de proclamer la loi martiale hors le cas d’insurrection. Je nie que tout rassemblement puisse être dispersé par la force des armes, même après trois sommations. Eh ! voyez où nous conduirait le principe contraire ! Arrêté et convaincu, le délinquant en est quitte pour une peine légère ; fuyard et poursuivi, il peut être atteint d’un coup de sabre, d’un coup de feu, il peut être tué ! Dira-t-on que par son refus de se séparer du rassemblement il aggrave son délit, j’y [7.2]consens ; mais y a-t-il là proportion entre le délit et la peine. La mort pour une simple contravention de police ! oui, qu’on ne l’oublie pas ! la loi martiale est une loi de mort. Qu’on soit donc moins prodigue à l’avenir de ces menaces de mort contre les citoyens égarés, coupables je le veux bien, mais qui cependant ne méritent pas un pareil châtiment ; je ne pense pas que cette question ait déjà été examinée sous ce point de vue ; je la livre à l’autorité et au public, dans l’intérêt des gouvernans comme dans celui des gouvernés. Marius Ch……g. Notes de base de page numériques:1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). 2 Notes de fin littérales:i La loi sur les émeutes, du |