L'Echo de la Fabrique : 13 mai 1832 - Numéro 29

considération sur l?amélioration morale et sociale des classes ouvrières, manufacturières et industrielles.1

Par M. Alphonse de Lamartine.2

L?auteur des Harmonies poétiques se dérobant un instant à sa gloire littéraire pour travailler au bonheur des hommes, vient de proposer et de faire adopter à l?académie de Mâcon, pour le concours de l?année 1832, la question suivante qui offre un intérêt général :

« Déterminer les principales causes qui rendent les populations manufacturières généralement moins heureuses et moins morales que les populations agricoles ; à présenter les principaux moyens de rendre le travail industriel aussi favorable que le travail agricole à l?esprit de famille, au bonheur et à la moralité de ceux qui s?y livrent.i »

Il y a, dit M. de Lamartine, deux civilisations qui quelquefois marchent de concert, et quelquefois s?avancent séparées : l?une est la civilisation morale, c?est-à-dire l?ensemble des croyances, des lois, des m?urs, des vertus d?un peuple.

L?autre est la civilisation matérielle, c?est-à-dire le développement plus ou moins progressif des métiers et des arts purement manuels ou de l?industrie.

La civilisation morale ne peut être considérée que comme le but même de la destinée et de la durée des nations ; ceux qui la nient ou qui voudraient entraver sa marche, méconnaissent l?humanité dans son caractère distinctif, le perfectionnement, et outragent le ciel même dans son plus noble ouvrage, l?humanité.

[7.2]La civilisation matérielle, au contraire, autrement nommée l?industrie, ne présente pas des résultats aussi évidens pour le bonheur des peuples qui la cultivent par-dessus tous les autres. L?industrie est spécialement, et presque exclusivement fondée sur le désir du luxe, sur l?avidité de l?or ; elle éveille et alimente dans l?homme, par l?habitude, cette passion essentiellement égoïste, et ne présente jamais à ses pensées, à son travail, à ses vertus même, que le gain pour mobile, et la richesse pour récompense.

Après avoir poussé sans doute un peu loin l?examen des fâcheuses dispositions du prolétaire dans l?état social, dispositions que nous sommes loin de reconnaître, l?auteur s?écrie dans cet esprit de raison et d?humanité qui le caractérise : que l?homme arrivé au repos par la civilisation se dise bien que les lumières et les jouissances auxquelles il est arrivé le premier, appartiennent proportionnellement à tous, selon la loi écrite ; que ces membres négligés de la famille humaine doivent recevoir de la providence sociale les mêmes soins, le même amour, la même éducation morale ; qu?en améliorant l?état physique et intellectuel du dernier des hommes, c?est notre état physique et moral que nous améliorons à nous-mêmes, à nos enfans ; qu?il ne peut exister dans le corps social ni un vice ni une misère ni une injustice qui ne réagisse sur l?ensemble ; car l?humanité est une, et nulle partie n?en peut être négligée ou viciée sans que l?humanité tout entière ne souffre et ne languisse.

Cette question, dit encore le célèbre écrivain en terminant, est générale, car elle embrasse un intérêt commun à toutes les nations civilisées.

Elle est locale, car la France, que le mouvement de la civilisation a élevée une des premières à l?ère industrielle, réclame avec urgence l?attention des esprits penseurs sur cette forme nouvelle de son existence.

Les personnes qui se livreront à l?examen de cette question, devront, selon nous, fixer particulièrement leur attention sur les points suivans :

I° Mettre l?ouvrier à même de profiter des avantages d?une éducation non-seulement élémentaire, mais morale, approfondie et appropriée à ses besoins ;

2° Former dans toutes les villes manufacturières des écoles d?arts et métiers, où les ouvriers seraient instruits non-seulement de ce qui concerne les professions auxquelles ils se destinent, mais encore éclairés sur tous leurs devoirs et leurs véritables intérêts sociaux ;

3° Offrir aux ouvriers des amusemens publics qui les détournent des infâmes loteries et des jeux ruineux qu?ils rencontrent sur les places.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Marie-François Lamartine (1790-1869) sera finalement élu député (Nord) en janvier 1833 après plusieurs tentatives infructueuses. Les début de la Monarchie de Juillet le voient s?éloigner du credo monarchiste qu?il exaltait encore dans ses Harmonies poétiques et religieuses et commencer à développer des considérations beaucoup plus sociales.

Notes de fin littérales:

i Le prix sera une médaille d?or de 300 fr. Les mémoires devront être adressés au secrétaire perpétuel de la société, et lui être parvenus le 30 octobre 183230 octobre 1832 au plus tard.

 

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