L'Echo de la Fabrique : 9 février 1834 - Numéro 58

 DE LA NÉCESSITÉ
pour tous les travailleurs
De se rallier aux Associations.

Déjà l?Echo de la Fabrique a présenté la question des associations d?ouvriers sous toutes ses faces ; il en a développé le droit incontestable et indiqué les résultats moraux et matériels. Ces luttes quotidiennes contre les art. 415 et 416 du code pénal, et surtout contre les attaques violentes et passionnées des journaux ministériels, ces appels calmes et raisonnés à l?association, ont dû réveiller bien des intelligences, détruire des préjugés et dissiper enfin les craintes qui retenaient les travailleurs dans un isolement et une défiance coupable les uns des autres. Grace à quelques chefs d?atelier généreux, intelligens et actifs, ils se sont rapprochés, ils se sont entendus, ils se sont compris, appréciés, et leurs associations, aujourd?hui fortes et compactes, n?ont rien à redouter de personne ; les gouvernemens les plus hostiles seraient impuissans à les briser : elles ont pour base la justice, et pour appui l?union indissoluble qui lie tous leurs membres. Quelques hommes cependant craignent encore de s?y rallier ; effrayés de l?on ne sait quoi, ils stationnent dans leur vieille ornière, et, contrairement à leurs intérêts, ils subissent, silencieux et soumis, toutes les conditions du fabricant. Qu?ils comparent leurs salaires à ceux de leurs frères associés, ils verront de suite une grande différence de prix toute au profit des Mutuellistes. Il est donc clair qu?ils doivent se rallier à eux pour obtenir un plus juste salaire. Craignent-ils de manquer d?ouvrage ? Mais leurs associés leur en fourniront ou du moins les indemniseront en argent du travail dont [1.2]les aurait momentanément privés leur entrée dans l?association. Qu?ils s?unissent donc à leurs frères ; on les en prie, car on déplore leur aveuglement. Les Mutuellistes embrassent dans leur association toute la fabrique lyonnaise ; ses différentes branches forment ensuite des associations particulières. Ainsi les veloutiers sont tous étroitement liés, et, grâce à l?accord fraternel qui les unit, tous travaillent et tous retirent un juste salaire de leur labeur. Qui croirait cependant que huit chefs d?atelier veloutiers, dominés par des craintes puériles, ont constamment refusé de se rallier à leurs frères, qu?ils ont constamment repoussé la main amie qui leur était offerte, et se sont obstinés à rester dans une position précaire, dépendante, à exécuter un travail peu rétribué, tandis qu?on leur offre un plus juste salaire, indépendance du fabricant et appui contre la misère ? Qu?ils reviennent à l?intelligence de leurs véritables intérêts : ne savent-ils pas que, grâce à l?association, les travailleurs ne sont plus dans un état de domesticité vis à vis des fabricans ? Forts de leur union, ils sont respectés. Isolés, ils étaient dédaignés, conspués? Combien de faits pourraient, si nous le voulions, justifier notre langage. Grâce à l?association, l?ouvrier en soie pourra vivre en travaillant ; il pourra, même avec une sévère économie, s?élever jusqu?à l?aisance, et n?aura plus l?hôpital pour perspective inévitable. Enfin, elle remplit envers eux tous les devoirs qu?enseigne un amour sincère de l?humanité.

Si maintenant on porte plus haut ses regards, on voit la grande famille des travailleurs sortir de l?état d?ilotisme où l?avait enchaînée de barbares préjugés et l?avidité criminelle de quelques-uns, et mettre un terme à la honteuse exploitation de l?homme par l?homme ; on la voit traiter d?égal à égal avec les capitalistes, forcer enfin le législateur à écrire dans ses codes une égalité réelle, à conférer aux travailleurs les droits politiques si injustement et si absurdement réservés jusque-là aux seuls oisifs, et arriver ainsi au gouvernement du peuple par le peuple. Mais ce peuple sera-t-il encore déclaré incapable de se régir, et devra-t-il être, comme ignorant, repoussé de toute participation aux affaires générales ? L?association répondrait alors victorieusement par des faits. Cinq mille chefs d?atelier sont unis en dépit des persécutions inquisitoriales de la police et des poursuites du parquet ; leur nombre grandit chaque jour ; [2.1]ils ont leurs lois fidèlement observées, leurs chefs strictement obéis : toutes leurs mesures sont appuyées sur l?équité et prises dans l?intérêt général ; tout enfin marche avec une admirable harmonie. Dans les réunions hebdomadaires, réunions éminemment utiles, on parle des affaires de tous, des affaires de chacun ; on expose ses espérances, ses idées d?avenir ; on discute les moyens les plus propres, les plus prompts à amener l?amélioration du sort commun ; on s?instruit, on apprend à se connaître, on se moralise, et l?on avance ainsi à grands pas vers l?émancipation de tous les travailleurs. Les autres professions l?ont bien compris ; aussi, chaque jour de nouvelles demandes d?affiliation sont faites ; les Mutuellistes les accueillent avec joie ; ils oublient les injures qu?on jetait naguère à leur industrie ; ils oublient aussi que leur énergie dans le danger, leur constance, leur fermeté dans les luttes diverses engagées contre eux, les ont élevés au premier rang ; ils accueillent tous leurs frères dans une parfaite égalité, et bientôt une immense association de tous les travailleurs en France réalisera en partie la grande pensée de fourier, que quelques-uns regardent encore comme le rêve brillant d?un homme d?esprit et de bien. C?est un bel avenir pour notre France ; il est près de nous, grâce à quelques chefs d?atelier que ne rebutent ni les dangers, ni les menaces, ni les obstacles de tout genre ; mus par le seul amour de leurs frères, ils ont travaillé jour et nuit à harmoniser toutes les parties d?une aussi vaste association ; leur ?uvre est enfin debout ; elle est aujourd?hui inébranlable. Honneur leur soit rendu !?

 

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