L'Echo de la Fabrique : 9 février 1834 - Numéro 58

 

Au Rédacteur.

Notre mission étant de travailler à l?extinction des abus qui pèsent sur toute la fabrique lyonnaise, mais particulièrement sur la classe des travailleurs, nous accueillons avec plaisir la lettre que nous adresse M. bruschet sur l?un des mille sujets à traiter en cette matière :

Monsieur,

Au milieu des désordres qui nuisent à la prospérité de notre fabrique, il en est un (et je pense que personne ne trouvera mauvais que je le signale) qui est également nuisible et aux fabricans et aux maîtres ; le voici :

Lorsqu?un maître se présente dans une fabrique pour y demander l?emploi d?un métier vacant, il semblerait naturel que le fabricant lui répondît oui ou non ; puis, dans ce premier cas, qu?il passât chez lui, ainsi que l?usage en est établi, et que tous deux sussent à quoi s?en tenir ; mais point du tout. Le plus grand nombre des fabricans dit : Je passerai demain chez vous, et le maître s?en va. ? Le lendemain, le surlendemain arrivent, personne ne vient ; alors il retourne s?informer si on l?a oublié. ? Oh ! J?ai bien pensé à vous, lui dit-on, mais je n?ai pas eu le temps? Je ne suis pas allé de votre côté? Mais je passerai chez vous demain sans manquer. ? Ce demain arrive et passe comme les autres, sans que le maître ait vu personne (et il est bon nombre de fabricans qui vous tiennent ainsi dans l?alternative quinze jours durant). Et s?il retourne au magasin, c?est pour s?entendre dire au moins dix fois sur vingt : tous nos métiers sont disposés, nous n?avons plus rien pour le moment?

Mais, quel est le fruit de cette frivolité de promesses, de ce manque de foi ? Le voici : d?un côté, courses et temps perdu ; et ce temps est assez précieux, assez cher, ce me semble, pour qu?il soit mieux employé au profit du maître qui, du reste, ne peut faire aucune réclamation, et n?a droit à aucune indemnité, et qui, par ces motifs, prend le parti de s?adresser à plusieurs fabricans à la fois ; ? alors il résulte de ce fait que le premier de ces messieurs qui vient, s?empare du métier ; et si quelqu?autre y a également compté et qu?il vienne, il trouve alors indigne la conduite du maître, lui retire sa confiance et par suite lui refuse de l?ouvrage.

Ce désordre est d?une nature assez grave, comme vous le voyez, M. le rédacteur, et si la publication de ma lettre peut à ce sujet éveiller l?attention de MM. les prud?hommes, et les inviter à y chercher un remède, mon but sera rempli.

Agréez, etc.

bruschet cadet.

Note du rédacteur. ? On ne saurait nier l?exactitude de l?abus qui vient de nous être signalé même avec une modération grande ; et il faut bien le dire, cette manie d?abuser ainsi du temps de l?ouvrier, qui est celle du plus grand nombre des fabricans, est une maladie qui s?empare en outre et assez vite de MM. les commis qui, dans ce cas-là, poussent au moins aussi loin que leurs chefs ; quand leur plus grand mérite est de bien savoir entretenir les balances et frotter les banques de leur magasin : [3.2]en foi de quoi, nous autres travailleurs, sommes obligés de les recevoir le bonnet à la main et les reconnaître pour nos très hauts, très excellens seigneurs et maîtres.

 

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